Une fois la nuit tombée et mon matos planqué, je file à vélo sans moteur faire quelques courses au supermarché du coin. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que tout y est fait pour anéantir vos efforts, si vous cherchez à réduire votre impact écologique ! Tout est emballé, plastifié, bref, bourré de carbone. En m'obligeant à consommer sans emballage, ce sont déjà plus de 80% des produits qu'il me faut zapper.

Muni de mes deux tranches d'escalope de veau sous papier de boucherie, de quelques fruits et légumes sans sac plastique, d'une demi bouteille de bourgogne bio et d'un bouquin, je regagne ma tente. Le livre s'avère être une erreur de casting. Vaguement ennuyeuse, cette soirée ! Je vais peut-être penser à emporter un ordinateur au prochain coup ! Il va falloir caser ça dans mon budget électrique. Un netbook bio, ça existe ?

Le 14 décembre, après une scandaleuse privation de grasse matinée (réveil à 8h00 tapantes, sous forme de reniflements de chiens autour de ma tente, avec en arrière plan les sifflements du chasseur), je m'offre le lever de camp le plus calamiteux que l'on puisse imaginer. C'est seulement le deuxième jour, mais la fatigue se fait bien sentir. Entre le petit déjeuner, le rangement du matériel et le pliage de la tente, je ne parviens à partir qu'un peu avant midi.

Cap au sud, j'entame les 315 kilomètres qui séparent Narbonne de Barcelone (par la côte) par une pénible épreuve de parcours dans la boue, en contournant l'étang de Sigean par les petits chemins. Mes batteries n'aiment pas du tout ça et se déchargent vite. Je rejoins la route carrossée au niveau de Bages et prends enfin de la vitesse. Je ne sais pas ce qu'on pourrait trouver pour faire des routes qui roulent aussi bien, sans avoir recours aux hydrocarbures (hé oui, le bitume, c'est du pétrole !).

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Une tramontane de compétition (un bon 75 km/h de nord ouest, bien constant) me fait économiser un nombre appréciable de watts. C'est qu'il en faut de l'énergie, pour traîner mon bazar, qui atteint les 50 kilos en additionnant le vélo et les équipements divers. Il faut dire que j'ai été un peu optimiste pour ce premier voyage ; je suis bien empêtré maintenant, avec tout ce poids.

La tramontane, bien établie, est donc providentielle et je me prends à imaginer un engin biscornu, qui roulerait à l'électricité et aussi à la voile, parce-que dans ma situation précise, il y a de quoi avancer à bonne vitesse, sans électricité ni pédalage. Par ailleurs, je constate qu'une éolienne ultralight aurait bien fait mon affaire pour recharger la nuit. Il faudra vérifier si ça existe.

Au bout d'une quarantaine de kilomètres, je tombe à l'entrée de Salses le Château sur une assemblée de chasseurs (cf épisode 1). Ils sont en train de tronçonner un chevreuil et un sanglier. J'en profite pour les filmer et recharger un peu mon vélo. Après m'être fait offrir quelques coups de rosé et des côtes de chevreuil encore tièdes (garanties sans emballage), la nuit est déjà tombée et je gagne le camping de Salses où la douche est en réparation ! La chronique de ma vie sans carbone commence à sentir le moisi.

La catastrophe se poursuit avec une malheureuse tentative de cuisson du chevreuil qui, je le saurai plus tard, ne se cuit pas du tout comme un steak. Il aurait fallu le laisser mariner deux jours dans du vin rouge (liquide qui ne manque pas dans la région, apparemment). Après une séance de mastication douloureuse et avec quelques poils de gibier entre les dents, je décide de me rabattre sur du jambon cru, il m'en reste (cf épisode 1).

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Le 15 décembre, la tramontane est encore montée d'un cran. Les batteries sont chargées à bloc grâce à Enercoop et par le truchement des bornes du camping. Après un peu d'entretien du vélo (un frein m'a lâché la veille), c'est reparti. Les kilomètres aujourd'hui défilent sans fatigue. Je fais soixante kilomètres en moins de deux heures, avec une seule batterie, jusqu'à Collioure. Mon vélo électrique est très efficace sur le plat, avec sa vitesse de pointe de 50 km/h.

Sur ces considérations, ce qui devait arriver arrive : la pluie tombe, et pas pour de faux. Je suis en retard sur mon planning, hors de question de s'arrêter avant l'Espagne. J'enfile la veste de quart qui me sert habituellement en bateau et reprends la route, mais ça devient tendu, le vent fouette méchamment. La nuit tombe au moment où j'arrive aux premiers cols qui marquent le passage des Pyrénées. Le moteur assure ce qu'il peut dans les côtes, mais je suis trop chargé. Port Vendres, Banyuls et Cerbère sont traversés sans carbone, mais avec courbatures et sous une pluie diluvienne.

A Cerbère, un brave Monsieur à qui j'annonce que je vais passer en Espagne me met en garde sur les risques de rafales au moment de passer le col vers Portbou. La météo annonce 120km/h, me dit-il. Ce sont effectivement de dangereuses bourrasques qui m'accueillent en Espagne, à tel point que sur certaines portions, le vélo monte la côte sans moteur ni pédalage ! La chûte est évitée de justesse quelques instants plus tard quand je me prends une énorme rafale par le travers.

J'abandonne donc toute idée de camping pour cette nuit, je n'ai pas envie de me prendre un arbre arraché. A 21h15, je m'écroule sur le lit d'un hôtel miteux de Portbou. Que sueno ! Je n'allume pas le radiateur et en profite pour prendre une douche bien chaude !

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Au matin, quelques interrogations : le vélo est-il le plus indiqué pour les longues distances, en hiver ? En plus, ce n'est pas crédible : même si cela permet de faire des économies, qui voudrait se taper le trajet à vélo en plein mois de décembre, à part un taré comme moi ? J'aurai la réponse quelques heures plus tard en faisant un bout de route avec deux Béninois qui gagnent le sud de l'Espagne sur leurs VTT tout rouillés ! Ils sont sans papiers, entrés en Europe via l'Italie et pensent trouver du travail dans les serres d'Andalousie. Ils pédalent surtout la nuit pour échapper à la Guardia Civil.

Pour avoir le temps de faire les reportages à Barcelone (Noël approche et tout va bientôt ralentir en Espagne), je décide de gagner Girona (à 80km), que j'atteins aux alentours de 18h30. De là, pour 5 euros et 18 kw/h, je gagne Barcelone en train (100km). Aucune difficulté pour caser mon vélo dans le train régional espagnol, où les gens me regardent comme si j'étais un martien. Il faut dire que la pluie a cessé, désormais, le froid est vif et la température est sous les 0 degrés. Ils me prennent vraiment pour un dingue, avec mon matos de camping.

A 21h30, je suis en gare de Barcelona Gracia. Grâce à mon véhicule individuel portatif, un peu avant 22h, j'arrive devant l'immeuble de mon ami Matthieu qui va m'accueillir pour quelques jours. Verdict : train + vélo électrique, c'est décidément la bonne combinaison.

PS : coût total du voyage Paris Barcelone : 85 euros tout compris (billet Paris Narbonne en promo, camping, nourriture, hôtel à Portbou, train de Girona à Barcelone). Sans la tempête, cela aurait été un peu moins cher... Selon mes calculs ce voyage m'aura fait dépenser 235 kw/h, montage compris. Je suis donc dans les clous par rapport à mon budget Enercoop.